Commentaire sur Daniel: Préface

Le livre de Daniel m’a accompagné pendant plus de trente ans d’enseignement. Année après année, j’ai eu le privilège d’approfondir des visions et des récits fascinants. Réputé difficile, cet ouvrage ne m’a jamais “effrayé”. Peut-être parce que les premiers chapitres sont d’un accès aisé. Peut-être parce que les leçons principales des visions sont manifestes. Je me suis toujours réjoui de ce que je comprenais plutôt que de me décourager devant les énigmes irré­solues.

Durant mes études de théologie, j’ai pris connaissance de la structure en chiasme de la section araméenne (Da 2-7) que Lengle a mis en évidence en 1972. J’ai été enthousiasmé par la cohérence qui se dégageait tout à coup d’une partie importante du livre. Tous ces récits précieux que j’appréciais pour eux-mêmes gagnaient à être lus et étudiés dans leur globalité.

Dans les années qui ont suivi, d’autres structures et d’autres connexions se sont imposées à moi. En particulier, le recours fréquent, pour ne pas dire systématique, de l’auteur au “concept de bornes”, qui consiste à décrire un ensemble par ses extrémités. Ainsi, la fidélité de Daniel est relevée au début et à la fin de sa vie. Babylone est représentée par son premier et son dernier roi. Les visions eschatologiques couvrent le début et la fin du temps des nations. D’une manière générale, les dualités enrichissent le texte. Le recours à deux langues (l’hébreu et l’araméen) permet de souligner le double message que le livre véhicule.

En 2010, je me suis lancé dans un travail de doctorat sur le livre de Daniel. J’avais à cœur d’approfondir mes recherches sur les structures du livre, d’une part pour montrer la cohérence de l’ouvrage, et d’autre part pour illustrer la pertinence des structures littéraires dans l’interprétation du texte. Ce travail m’a permis de réfléchir à ma métho­dologie dans l’approche des textes et de souligner la pertinence et les richesses d’une analyse comparative.

Le plus grand profit de mes recherches de doctorat est venu de l’élargissement de mon approche comparative. Non seulement les récits de certains livres bibliques gagnent à être comparés les uns aux autres, mais certains gagnent aussi à être comparés à d’autres récits bibliques. C’est tout le domaine de l’intertextualité au niveau du canon biblique. Le plan de Dieu pour la rédemption du monde passe par différentes étapes, et la comparaison d’un livre biblique avec d’autres permet de mieux saisir la progression du dessein de Dieu pour le salut de l’humanité.

Le contraste entre le récit de la tour de Babel (Ge 11.1-9) et les cinq chapitres de Daniel consacrés au royaume babylonien (Da 1-5) est “illuminant”. De manière étonnante, une telle approche semble avoir échappé aux commentateurs, à l’exception de Hilton (1995) qui signale des similitudes entre le récit de Babel et le chapitre 5 de Daniel.

La comparaison avec Ezéchiel, le prophète contemporain de Daniel, m’a permis de mieux saisir la spécificité de Daniel par rapport à tous les autres prophètes de l’Ancien Testament. Daniel est le prophète des nations et non celui d’Israël. Il n’a jamais exhorté ses contem­porains, et ce n’est que vers la fin de sa vie que Dieu lui a révélé des paroles concernant Israël à la fin du temps des nations. La comparaison avec l’Apocalypse est fascinante aussi, en particulier le contraste sur le plan temporel. Le dernier livre de la Bible souligne l’imminence du Royaume de Dieu, alors que Daniel souligne le temps considérable qui sépare Daniel de la rédemption finale pour Israël.

Lorsqu’on place Daniel dans la perspective plus large de la révélation biblique, on ne peut qu’être émerveillé par les desseins de Dieu. Quelle sagesse et quelle cohérence !

Certains commentateurs et prédicateurs tirent du livre de Daniel surtout des leçons de vie, car le prophète et ses amis sont exemplaires de courage, de fidélité et de foi. Une telle approche est compréhen­sible, mais il ne faut jamais oublier que l’Ecriture nous est donnée en premier lieu pour révéler Dieu, et le Dieu qui se révèle dans Daniel nous fait vivre et espérer en toute circonstance