Commentaire de Ruth 2: une terre d'accueil

Mise en place du décor : 2.1-3

1 Noémi avait un parent de son mari. C'était un homme puissant et riche, de la famille d'Elimélek, et qui se nommait Booz.

2 Ruth la Moabite dit à Noémi : Laisse-moi, je te prie, aller glaner des épis dans le champ de celui aux yeux duquel je trouverai grâce. Elle lui répondit : Va, ma fille.

3 Elle alla glaner dans un champ, derrière les moissonneurs. Et il se trouva par bonheur que la parcelle de terre appartenait à Booz, qui était de la famille d'Elimélek.

 

Trois choses sont dites en guise de préambule. La première concerne Booz, la seconde Ruth, la troisième Dieu.

1. Booz fait penser à l’oncle d’Amérique, dont la richesse et la générosité engendrent les plus grands espoirs. Booz est un parent d’Elimélek, influent et riche. La mention de ces informations avant le verset 3 fait l’effet d’une prémonition favorable. La misère des deux femmes touche peut-être à sa fin. L’auteur donne cette information, à ce stade de son récit, pour différentes raisons. Il veut indiquer que dès que les hommes et les femmes mettent Dieu à la première place (par exemple en rentrant au pays promis), différents signes de la bénédiction divine sont perceptibles. Ensuite, il veut rapidement nommer l’homme par qui la rédemption viendra, pour aider le lecteur à se concentrer sur le comportement de cet individu.

2. Ruth élabore un projet de survie, car les deux femmes sont sans ressources et il leur faut rapidement trouver de la nourriture. Certes, Noémi disposait d’un champ, comme on l’apprend plus tard (4.3), mais la vente d’un terrain prend souvent du temps si on ne veut pas le brader. D’autre part, l’époque est mal choisie pour vendre le champ, car les agriculteurs sont peu disponibles pour traiter d’affaires foncières pendant les moissons, et le propriétaire par intérim veut engranger sa récolte avant de rendre le terrain à Noémi. Le report de la vente à la fin des moissons oblige Ruth à trouver rapidement un gagne-pain. Elle pense au glanage, une activité accessible à tous.

Le glanage est un travail pénible, car les épis doivent être ramassés un à un. De plus, les pauvres sont parfois raillés, rejetés, voire brutalisés par les propriétaires et les ouvriers qui ne les apprécient guère dans leurs champs, craignant que les glaneurs ne prennent certains épis dans les parties du champ qui n’ont pas encore été moissonnées. Ruth est animée d’un esprit positif, car elle espère trouver un propriétaire qui lui fera grâce (« …dans le champ de celui aux yeux duquel je trouverai grâce »). Ainsi, les difficultés passées n’ont pas brisé en elle toute espérance.

Ruth se montre prête à accomplir ce travail difficile, mais présente son projet d’abord à sa belle-mère qui connaît le pays et ses coutumes. Elle fait preuve de respect et de soumission à l’égard de son aînée qu’elle a accompagnée pour l’aider.

3. La Providence guide Ruth dans le champ de Booz (2.3). Sans le dire spécifiquement, l’auteur suggère que Dieu est responsable du concours de circonstances favorables. Les signes de la bénédiction divine se multiplient de la même manière que les signes de malheur s’ajoutaient les uns aux autres dans le passé (décès du mari, puis celui des fils, stérilité des belles-filles). Depuis que Noémi est rentrée au pays, la tendance s’est inversée.

Ruth – qui a décidé d’accompagner sa belle-mère vers la terre promise – est conduite par Dieu dans le champ de la bénédiction. Un microcosme de la situation d’Israël est en train de se dessiner. Booz, propriétaire « puissant et riche » (2.1), bon par surcroît, comme l’indique la suite du récit, y tient le rôle de l’Eternel.

On peut s’étonner que Noémi n’ait pas songé à envoyer Ruth glaner dans le champ de Booz. La déprime semble avoir anesthésié chez elle tout bon sens. Le découragement est souvent le pire ennemi de l’homme. Heureusement pour Noémi, Ruth et l’Eternel veillent sur elle.

Le dialogue entre Booz et ses serviteurs : 2.4-7

4 Et voici, Booz vint de Bethléhem, et il dit aux moissonneurs : Que l'Eternel soit avec vous ! Ils lui répondirent : Que l'Eternel te bénisse ! 5 Et Booz dit à son serviteur chargé de surveiller les moissonneurs : A qui est cette jeune femme ? 6 Le serviteur chargé de surveiller les moissonneurs répondit : C'est une jeune femme moabite, qui est revenue avec Noémi du pays de Moab. 7 Elle a dit : Permettez-moi de glaner et de ramasser des épis entre les gerbes, derrière les moissonneurs. Et depuis ce matin qu'elle est venue, elle a été debout jusqu'à présent, et ne s'est reposée qu'un moment dans la maison.

 

Booz honore ses ouvriers d’une belle salutation (« Que l'Eternel soit avec vous ») que ceux-ci lui renvoient immédiatement (« Que l'Eternel te bénisse »). Le climat social dans une entreprise dépend souvent du comportement du patron. Son attitude envers les ouvriers dicte le ton général.

Booz est attentif à l’ensemble du personnel, même avec les nouveaux ouvriers. Il note immédiatement la présence de Ruth et s’informe à son sujet, montrant ainsi son intérêt pour chaque personne œuvrant sur ses terres.

Certains commentateurs estiment que Booz est attiré par la beauté de Ruth, mais le narrateur ne conduit pas le lecteur dans cette direction. Booz manifeste rapidement son admiration pour cette femme, en raison de son comportement exemplaire.

Avant de se mettre au travail, Ruth s’identifie et demande la permission de glaner (2.7). Veut-elle éviter tout malentendu, n’étant pas connue dans la région, ou veille-t-elle à ne pas salir la réputation de Noémi ? Ruth n’est pas une voleuse, mais désire simplement exercer un privilège autorisé par la loi (Dt 24.19). De plus, chaque propriétaire devait laisser aux pauvres non seulement les épis tombés, mais un coin de son champ (Lév 23.22). En se présentant officiellement, Ruth a pu s’informer de l’endroit réservé aux pauvres, afin d’écarter tout risque de prélever les mauvais épis. Cette partie du champ était la première à être moissonnée par les pauvres, mais il ne semble pas que Ruth ait pu en profiter.

Le serviteur loue l’ardeur au travail de Ruth, car les glaneurs étaient souvent des minimalistes tombés dans la disette en raison de leur paresse. La fin du verset 7 présente une difficulté, car il y a fondamentalement deux manières de traduire. Certaines versions affirment que Ruth ne s’est pas arrêtée pour se reposer (Jér), d’autres qu’elle s’est reposée brièvement (Col, Seg, FC, Sem, Darby, KJ, NIV).

Le dialogue entre Booz et Ruth : 2.8-14

8 Booz dit à Ruth : Ecoute, ma fille, ne va pas glaner dans un autre champ ; ne t'éloigne pas d'ici, et reste avec mes servantes. 9 Regarde où l'on moissonne dans le champ, et va après elles. J'ai défendu à mes serviteurs de te toucher. Et quand tu auras soif, tu iras aux vases, et tu boiras de ce que les serviteurs auront puisé.

10 Alors elle tomba sur sa face et se prosterna contre terre, et lui dit : Comment ai-je trouvé grâce à tes yeux, pour que tu t'intéresses à moi, à moi qui suis une étrangère ?

11 Booz lui répondit : On m'a rapporté tout ce que tu as fait pour ta belle-mère depuis la mort de ton mari, et comment tu as quitté ton père et ta mère et le pays de ta naissance, pour aller vers un peuple que tu ne connaissais point auparavant. 12 Que l'Eternel te rende ce que tu as fait, et que ta récompense soit entière de la part de l'Eternel, le Dieu d'Israël, sous les ailes duquel tu es venue te réfugier !

13 Et elle dit : Oh ! que je trouve grâce à tes yeux, mon seigneur ! Car tu m'as consolée, et tu as parlé au cœur de ta servante. Et pourtant je ne suis pas, moi, comme l'une de tes servantes.

14 Au moment du repas, Booz dit à Ruth : Approche, mange du pain, et trempe ton morceau dans le vinaigre. Elle s'assit à côté des moissonneurs. On lui donna du grain rôti ; elle mangea et se rassasia, et elle garda le reste.

 

Le narrateur va droit au but. Il ne dit pas que Booz a appelé Ruth, mais il présente directement les propos comme si la Moabite était déjà présente. Booz l’appelle « ma fille ». Cette expression souligne la différence d’âge (cf. 3.10). Elle est aussi un signe positif qui montre que Booz ne considère pas Ruth comme une étrangère, mais comme un membre de sa famille. (Noémi appelle Ruth de la même manière : cf. 2.2).

Booz est plein d’égards envers Ruth. Il l’invite chaleureusement à rester dans son champ et à y revenir ; à profiter aussi du puits pour se désaltérer. Il a même ordonné à ses ouvriers (le verbe est au passé) de ne pas importuner la jeune femme. Une double négation renforce l’interdiction. Malgré le bon climat qui règne parmi les ouvriers, certains pourraient être animés de sentiments xénophobes et Booz veut mettre Ruth à l’abri de tout geste déplacé. L’attitude favorable de Booz peut être expliquée de plusieurs manières. D’abord, Booz est respectueux d’autrui. Ensuite, Ruth est sa parente par mariage. Troisièmement, Booz admire l’engagement de Ruth. Or toute l’éthique sociale en Israël est conçue pour aider ceux qui cherchent à sortir de leur misère. Les paresseux doivent être abandonnés à eux-mêmes et souffrir des conséquences de leur paresse. Par contre, les nécessiteux qui ont été victimes de l’adversité ou les pécheurs qui sont tombés dans certains travers, mais se sont ensuite repentis, doivent être aidés. Dieu désire offrir un nouveau départ à ceux qui veulent repartir du bon pied. Ainsi le système du glanage permet aux pauvres de survivre, mais il n’encourage pas la paresse. Booz améliore le cadre de travail de Ruth, mais il ne lui offre pas tous les biens sur un plateau. Pour survivre, Ruth doit travailler. Elle en a les moyens, et Booz veille à ce que ses conditions de travail soient honorables. Le champ de Booz devient une image du pays promis. Les conditions sont favorables, mais la terre nécessite du travail. Même dans le jardin d’Eden, l’homme devait cultiver le sol (Gen 2.15).

Ruth s’étonne d’une telle faveur. Elle n’est qu’une étrangère et ne connaît pas les liens qui unissent Booz à sa famille. De plus, elle n’a probablement jamais rencontré un homme aussi respectueux des petits. Sa position, face contre terre, ne reflète pas la crainte, mais un grand respect. Elle est assez en confiance pour lui poser une question (« Comment ai-je trouvé grâce… ? » 2.10). Son attitude illustre la relation du fidèle envers le Seigneur.

Booz réplique : « On m’a raconté… » Dans un village comme Bethléhem, les nouvelles circulent rapidement. Booz avait entendu parler de Ruth (parente par mariage), mais ne l’avait probablement encore jamais vue, ce qui explique la question au serviteur sur l’identité de cette femme (2.5). Booz exprime son admiration du comportement de la jeune femme. Son abnégation en faveur de Noémi mérite les plus vifs éloges : « Que l'Eternel te rende ce que tu as fait, et que ta récompense soit entière de la part de l'Eternel » (2.12a). Ruth a tout quitté pour le Dieu d’Abraham. « Un tel geste la rend digne d’Abraham et des croyants d’Israël » et la situe directement dans la lignée spirituelle du grand patriarche.

« Le Dieu d'Israël, sous les ailes duquel tu es venue te réfugier ! » (2.12b). Cet idiome évoque un petit oiseau se blottissant sous les ailes de sa mère (cf. Dt 32.11), une image poignante pour représenter l’accueil réservé par le Dieu rédempteur. Le verset résume admirablement un enseignement-clé de ce livre sur la personne de l’Eternel.

Ruth est profondément reconnaissante pour la grâce qui lui est faite. Elle appelle Booz « mon seigneur », une appellation courante qui témoigne du respect, mais qui évoque aussi l’Eternel, que Booz incarne.

Booz se montre de plus en plus généreux, car l’attitude de Ruth l’emballe toujours davantage. C’est bien ainsi qu’il faut procéder envers les pauvres : une aide progressive liée à leur attitude. Booz intègre totalement Ruth dans la communauté des travailleurs en l’invitant au repas. Elle reçoit du pain comme les autres ouvriers, aliment qu’elle peut manger autour du bol communautaire et non à l’écart. Elle est assise à côté des serviteurs et non plus debout ou prosternée devant Booz. Il semble même que Booz l’ait servie lui-même (le verbe est à la troisième personne du singulier), un geste significatif pour tous les ouvriers de la sollicitude de Booz pour cette femme. Ruth est servie abondamment, puisque après qu’elle s’est rassasiée, il lui reste de la nourriture pour sa belle-mère (2.18).

Le travail béni : 2.15-17

15 Puis elle se leva pour glaner.  Booz donna cet ordre à ses serviteurs : Qu'elle glane aussi entre les gerbes, et ne l'inquiétez pas ; 16 et même vous ôterez pour elle des gerbes quelques épis, que vous la laisserez glaner, sans lui faire de reproches. 17 Elle glana dans le champ jusqu'au soir, et elle battit ce qu'elle avait glané. Il y eut environ un épha d'orge.

 

Booz intensifie encore son aide à Ruth et s’arrange pour que le travail de la Moabite soit plus productif. Mais n’est-ce pas contre-productif que de faire ramasser à Ruth des épis qui avaient déjà été moissonnés ? Pourquoi ne pas donner directement un sac de céréales ? Booz est « puissant et riche » (2.1), mais il n’utilise ni sa puissance ni sa richesse pour se mettre en avant ou pour écraser le pauvre. L’Israélite honore le travail de la Moabite. Les efforts et le travail du pauvre sont importants, même s’ils ne rapportent pas beaucoup. Si Booz avait offert le produit final (ce qui correspon­drait à de l’argent aujourd’hui), il aurait dévalué l’activité de Ruth, et par là même, il l’aurait méprisée. Booz fait fructifier le travail de Ruth et il le fait anonymement, car l’amour ne consiste pas à se mettre en avant, mais à valoriser et à soulager le pauvre.

Après avoir glané jusqu’au soir, Ruth bat ensuite sa récolte qui s’élève à un épha, soit 13 à 22 kg. « Puisque la nourriture d’un ouvrier mâle dans l’ancienne Mari était d’environ 500 gr à 1 kg de grain par jour, Ruth a probablement récolté assez de grain pour elle et Noémi pour plusieurs semaines  (Huey p. 532). Selon Harrison (p. 184), en temps normal, quelqu’un était content s’il avait glané la moitié de cette quantité.

Le compte rendu à Noémi : 2.18-23

18 Elle l'emporta et rentra dans la ville, et sa belle-mère vit ce qu'elle avait glané. Elle sortit aussi les restes de son repas, et les lui donna. 19 Sa belle-mère lui dit : Où as-tu glané aujourd'hui, et où as-tu travaillé ? Béni soit celui qui s'est intéressé à toi ! Et Ruth fit connaître à sa belle-mère chez qui elle avait travaillé : L'homme chez qui j'ai travaillé aujourd'hui, dit-elle, s'appelle Booz. 20 Noémi dit à sa belle-fille : Qu'il soit béni de l'Eternel, qui se montre miséricordieux pour les vivants comme il le fut pour ceux qui sont morts ! Cet homme est notre parent, lui dit encore Noémi, il est de ceux qui ont sur nous droit de rachat. 21 Ruth la Moabite ajouta : Il m'a dit aussi : Reste avec mes serviteurs, jusqu'à ce qu'ils aient achevé toute ma moisson. 22 Et Noémi dit à Ruth, sa belle-fille : Il est bon, ma fille, que tu sortes avec ses servantes, et qu'on ne te rencontre pas dans un autre champ. 23 Elle resta donc avec les servantes de Booz, pour glaner, jusqu'à la fin de la moisson des orges et de la moisson du froment. Et elle demeurait avec sa belle-mère.

 

Ruth rapporte sa récolte et le surplus du repas à la « maison » pour que Noémi en profite. Plutôt que de lui faire un rapport sur les bénédictions de la journée et de rencontrer l’incrédulité de Noémi, elle montre ce qu’elle a. Devant l’abondance, la belle-mère bénit le propriétaire avant de connaître son identité.

Dès que Ruth prononce le nom de Booz, Noémi loue le Seigneur, car elle discerne derrière cette rencontre la main de l’Eternel (ce qui n’était pas bien difficile d’ailleurs : voir p. 62-63).

Noémi parle de « devoir de rachat » (goël) ou « droit de rachat ». Le lecteur moderne ne sait pas, à ce stade du récit, ce que cela implique et le lecteur juif hésite, car les devoirs du goël étaient multiples. Il devait :

1.    venger le meurtre d’un membre de sa famille (le vengeur de sang : Nb 35.19),

2.    épouser la veuve de son frère laissée sans enfant (la loi du lévirat : Dt 25.5-10),

3.    racheter une terre familiale mise en vente (Lév 25.25),

4.    racheter un membre de sa famille vendu en esclavage (Lév 25.47-49),

5.    veiller aux besoins des nécessiteux de sa famille (Lév 25.35).

 

Le dernier point semble le plus pertinent, car l’auteur n’a pas encore évoqué l’absence de descendance de la famille d’Elimélek. Tout au plus peut-on « imaginer les spéculations dans l’esprit de Noémi » (Jackman p. 336).

Ruth perçoit-elle dans la remarque de Noémi un signe que d’autres choses pourraient se passer ? C’est possible, car elle dit tout ce qu’elle sait à Noémi (2.21) pour l’encourager à son tour et, peut-être, pour que celle-ci puisse mieux la conseiller.

Noémi se contente de reprendre l’invitation de Booz et d’en faire un ordre : « Il est bon, ma fille, que tu sortes avec ses servantes, et qu'on ne te rencontre pas dans un autre champ » (2.22). La belle-mère discerne-t-elle derrière l’offre de Booz une promesse plus importante ? Pour l’instant, Booz s’engage jusqu’à la fin de la moisson et ne propose pas de solution permanente.

L’expression « ma fille » dans la bouche de Noémi ferme la section qui avait été ouverte de la même manière (2.2, 22) et le dernier verset permet de basculer à la fin de la période (2.23). Les deux moissons (orge et blé) devaient durer environ sept semaines, le temps qui sépare la fête de la Pâque (appelée aussi « fête des épis » : Dt 16.1) de celle de la Pentecôte (située sept semaines après le début des moissons : Dt 16.9). Faut-il y voir une sorte de jubilé au terme duquel le rédempteur doit intervenir ?