Chapitre 1

Le Dieu créateur est la norme du bien et du mal

Le Créateur est la norme de tout. C’est lui qui a formé tout ce qui existe dans le ciel et sur la terre. Il a fixé la limite précise des océans, déterminé le volume total des eaux, décidé de la hauteur de chaque cime, de la profondeur des fosses marines. « Il a déterminé le poids du vent, fixé la mesure des eaux, donné une règle à la pluie et une route à l’éclair et au tonnerre » (Jb 28.25-26). Il a défini les caractéristiques de chaque espèce animale : leur manière de se déplacer, le fonctionnement de leurs yeux, les particularités de leur système digestif. Il a décidé du nombre précis d’étoiles, de leur grandeur, de leur composition, de leurs mouvements. Il a déterminé la structure de chaque atome et de chaque molécule. Pour décrire toutes les caractéristiques fixées au moment de la création, des centaines de milliers de livres ne suffiraient pas.

Dieu a décidé de tout, librement, souverainement, sans aucune raison extérieure à lui-même, sans nécessité aucune, sinon son bon plaisir. Le sens de toute chose ne peut être trouvé qu’en lui. En dehors de lui, la vie est absurde.

Le sens des mots bien et mal ne peut être déterminé en dehors du Créateur. Ce qui est lié à sa personne est « bien » par principe, et ce qui est « mal » ne peut être qu’extérieur à son être. Quand Dieu fait quelque chose, cette chose est « bonne » par principe, par définition. Il ne peut en être autrement. Dieu fait tout ce qui lui plaît, et ce qui lui plaît est juste et bon.

Genèse 1

Lors de la création du monde, chaque étape est marquée par le refrain : « Dieu vit que cela était bon » (Gn 1.4, 10, 12, 18, 25). C’est Dieu qui crée, et c’est lui qui approuve ce qu’il fait. Il est à la fois créateur et juge. Il réalise les choses et les évalue, et comme tout ce qui vient de lui ne peut être que bon, son verdict est toujours le même : « Cela était bon ». La seule nuance est liée à la création de l’être humain. La parole créatrice n’ordonne pas simplement l’existence de l’homme et de la femme, mais annonce une caractéristique particulière : « Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, à notre ressemblance » (Gn 1.26). De toutes les choses créées, de toutes les créatures appelées à l’existence, l’être humain est la seule à être créée « à l’image de Dieu ». Une fois cet être créé, la création est achevée. Et puisque cette créature reflète encore mieux la personne de Dieu, l’évaluation ne peut être que meilleure. La création est maintenant très bonne. « Dieu vit alors tout ce qu’il avait fait et voici : c’était très bon » (Gn 1.31). Ainsi, tout ce que Dieu crée est bien, et quand il crée un être à son image, alors l’ensemble de la création s’en trouve enrichi, et tout est très bien.

Genèse 2

Le premier récit de la création dans la Genèse (Gn 1.1-2.3) est suivi d’un second qui spécifie la relation entre Dieu et la plus merveilleuse de ses créatures (Gn 2.4-25). Ce récit donne d’autres informations sur le monde très bon créé par Dieu. La perfection n’est pas seulement physique, mais relationnelle. Le premier chapitre s’était arrêté sur la vie physique, végétale, animale et humaine : création de la terre et de l’univers, et appel à l’existence des créatures (poissons, oiseaux, animaux terrestres, êtres humains). Chaque espèce peut vivre, bouger, manger, se reproduire. Mais la vie ne se limite pas à la vie biologique. Le chapitre 2 de la Genèse se penche sur l’homme et montre qu’il est un être intelligent et relationnel. Il peut écouter, comprendre, parler, nommer, gérer, évaluer, s’enthousiasmer. La dimension relationnelle est fondamentale. L’homme ne doit pas être seul. Il a besoin d’une aide, d’un vis-à-vis, d’un conjoint. Sa partenaire ne doit pas être une créature inférieure. Elle doit être son égal, son semblable, son miroir. Semblable, mais pas identique. Lui sera masculin, elle féminin. Lui s’appelle homme (isch), elle s’appelle femme (ischa), littéralement « hommesse ». C’est pourquoi Dieu tire la femme de l’homme lui-même, d’une de ses côtes. Notons que la femme n’est tirée ni du pied de l’homme pour qu’il la domine, ni de sa tête pour qu’elle lui dicte son comportement, mais d’une côte pour qu’elle soit à ses côtés, à son niveau.

La dimension relationnelle du second récit de la création souligne surtout les rapports entre Dieu et l’homme. Le Créateur donne à l’homme tout ce qu’il faut pour vivre, et pour bien vivre : un habitacle paradisiaque, une compagne qui l’enthousiasme et avec laquelle il pourra partager ses pensées, ses émotions, ses projets, ses activités et ses responsabilités. Avec elle, il pourra fonder une famille, avoir des enfants, partager tous les plaisirs de la sexualité. Dieu place pourtant une limite, une seule : « Tu pourras manger de tous les arbres du jardin, mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras » (Gn 2.16-17). Cette limite permet de bien marquer le lien relationnel entre Dieu et l’homme. Dieu est Dieu, et l’homme est homme. Aucune confusion des « espèces ». L’homme n’est pas Dieu. Il ne doit jamais espérer l’être, car il ne peut jamais l’être. En effet, si Dieu donnait tout à l’homme et lui permettait de devenir Dieu, alors Dieu cesserait d’être Dieu. Il se renierait lui-même. Dieu est Souverain, le seul Souverain. S’il ne l’était pas, il ne serait pas Dieu. L’interdiction concernant l’arbre de la connaissance du bien et du mal signifie à l’homme qu’il devra toujours reconnaître son Créateur comme son Souverain. Dieu est le seul apte à déterminer le bien. Il fixe les limites physiques et l’ordre métaphysique du monde par sa parole créatrice, et il délimite les liens relationnels au sein de sa création. L’homme devra toujours se tourner vers Dieu pour savoir comment vivre. L’indépendance morale est suicidaire. Vouloir être son maître en matière de vie (que cela soit dans le domaine physique ou moral), c’est signer son arrêt de mort. Il y a un seul Dieu et Maître. Toutes les autres créatures tirent leur être et leur existence de lui.

Le lien relationnel entre Dieu et Adam tient de l’ordre de l’alliance. Dieu donne, demande et s’engage. (1) Il donne la vie à l’homme et le place dans un cadre paradisiaque ; (2) puis il lui transmet ses exigences qui sont autant de missions et d’interdictions ; (3) finalement, il annonce l’action divine liée au comportement de l’homme (bénédictions et malédictions). Cette alliance créationnelle avec Adam anticipe toutes les autres alliances dans l’Ecriture.

Il est intéressant de relever que la dimension relationnelle (ou « alliancielle ») prévaut sur la dimension physique. C’est le refus de la souveraineté divine en matière de relation qui entraîne la mort physique. Il faut dire que la dimension relationnelle est intimement liée à l’être même de Dieu. De toute éternité, il est Père, Fils et Saint-Esprit. Les relations trinitaires sont au cœur de la divinité. Dieu est éternellement relationnel.

L’arbre portant le fruit interdit est placé à côté de l’arbre de vie, au centre du jardin (Gn 2.9 ; 3.3), bien en vue, agréable et bon à manger (Gn 2.9 ; 3.6). De mauvaises langues diraient que Dieu met tout en oeuvre pour faire pécher Adam et Eve, mais une telle pensée est déjà marquée par un dédain de Dieu, semblable à celui du serpent qui accuse Dieu de mauvaises intentions (Gn 3.4-5). La tentation n’est pas dans le fruit, mais dans les propos du tentateur. Que l’arbre portant le fruit interdit soit placé au centre du jardin, et que ce fruit soit agréable, sont de bonnes choses. Cela fait partie de la création divine qui est bonne. L’interdiction de consommer un fruit exprime simplement la volonté de Dieu d’être reconnu comme Souverain. L’homme est une créature merveilleuse, mais il n’est qu’une créature, et doit le rester. La position que Dieu lui a assignée est bonne. Vouloir être quelqu’un d’autre, c’est déjà contester Dieu. C’est estimer que le cadre, les frontières et les limites fixées par Dieu sont mauvaises.

Genèse 3

Le déroulement de la tentation est instructif au sujet de la nature du mal. Le serpent tente Eve par une question orientée et une affirmation pernicieuse. Il commence par demander : « Dieu a-t-il réellement dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? » (Gn 3.1). Cette question met en doute la bonté et la véracité de Dieu. Elle accentue la dimension négative. L’interdiction de Dieu porterait sur tous les arbres du jardin et non sur un seul. Les premières paroles du serpent sont émotionnellement chargées : « Dieu a-t-il réellement dit ? » Faut-il percevoir de l’étonnement, de l’incompréhension, de la contrariété, de l’embarras, de la déception, du dégoût ou de la révolte ? En tout cas, rien de positif. La deuxième intervention du serpent est encore plus effrontée : « Le serpent répondit : Vous ne mourrez pas du tout ! Mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et que vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal » (Gn 3.4-5). Dieu est accusé d’être un menteur égoïste qui veut empêcher les humains d’être heureux et épanouis. En même temps, le tentateur promet le bonheur immédiat et total, comme si l’homme était malheureux avant. Le serpent remplace la bénédiction présente (celle de vivre dans le jardin d’Eden) par un mensonge meurtrier. En effet, l’homme qui rejettera les frontières fixées par Dieu mourra.

La première conséquence de la révolte se manifeste par un changement vestimentaire. Avant la chute, « l’homme et la femme étaient tous les deux nus et n’en avaient pas honte » (Gn 2.25). Après la transgression, « les yeux de tous deux s’ouvrirent ; ils prirent conscience du fait qu’ils étaient nus. Ils se firent des ceintures avec des feuilles de figuier cousues ensemble » (Gn 3.7). La référence à la nudité étonne. Le péché originel n’est pas lié à la sexualité, contrairement à une opinion largement répandue. Pour comprendre le texte, il faut dépasser la dimension physique et prendre en compte l’aspect relationnel. Adam et Eve se couvrent, car ils cherchent à se cacher devant Dieu. Dès qu’ils entendent sa voix, « l’homme et sa femme allèrent se cacher devant l’Eternel Dieu, parmi les arbres du jardin » (Gn 3.8). Lorsque Dieu appelle Adam, il répond : « J’ai entendu ta voix dans le jardin et j’ai eu peur, parce que je suis nu ; je me suis donc caché » (Gn 3.10). La nudité entre les hommes exprime l’intimité. Quand on est seul, nul besoin de se couvrir (sinon pour se protéger du froid), mais dès qu’une autre personne est présente, les habits sont nécessaires. On ne désire pas s’exposer au regard de l’autre dans son intimité. Un regard inquisiteur nous gêne. D’ailleurs, on se protège de nombreuses manières des regards qui chercheraient à découvrir notre intimité. Combien de gens portent un masque pour se cacher ! Il y a les maquillages pour atténuer certains traits du visage, il y a les apparences qu’on se donne, la plaisanterie lancée pour détourner l’attention et les excuses mensongères pour tromper autrui. Nous avons peur d’être transparents et d’être vus tels que nous sommes. Trop de choses en nous nous déplaisent et doivent être cachées aux autres. Avant la chute, Adam et Eve ont une conscience pure. Ils n’ont pas honte de leur nudité, c’est-à-dire d’être vus tels qu’ils sont. Après la chute, ils ont peur. Ils doivent se cacher et couvrent de leur mieux l’endroit qui expose le plus leur intimité.

D’une certaine manière, le péché originel est un adultère, une infidélité non pas envers le conjoint, mais envers Dieu. La trahison se situe sur les plans relationnel et spirituel. L’alliance est rompue. Au lieu de faire confiance à Dieu, l’homme a fait confiance à Satan. L’utilisation du terme yada (connaître) et de ses dérivés est significative. Yada exprime une connaissance profonde. C’est le terme utilisé pour exprimer la relation sexuelle. Au chapitre 4, Eve devient enceinte, dès que « l’homme connut Eve sa femme » (Gn 4.1). Or le fruit interdit vient de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Dieu voulait que l’homme dépende de lui au niveau du comportement. Lorsque Adam et Eve pèchent, « les yeux de tous deux s’ouvrirent ; ils prirent conscience du fait (yada) qu’ils étaient nus » (Gn 3.7). Tous deux sont conscients de leur état de pécheurs, et leur nudité les gêne profondément.

Dans un premier temps, Dieu leur communique le jugement dont ils seront frappés (Gn 3.16-19), mais ensuite, dans sa grâce, il remplace les habits faits de main d’homme par des habits impliquant un sacrifice : « L’Eternel Dieu fit à Adam et à sa femme des habits de peau, dont il les revêtit » (Gn 3.21). C’est le premier sacrifice d’un animal, qui annonce le sacrifice que Jésus offrira pour la rédemption des péchés.

Avant de clore ce chapitre, notons encore que, dans le Royaume éternel de Dieu, les hommes ne sont jamais décrits comme étant nus, mais ils sont vêtus d’habits blancs (Ap 3.4-5, 18 ; 6.11 : 7.13-14 ; 22.14). L’innocence est perdue à tout jamais. Par contre, la honte est couverte par le sang du Christ. Dans l’Apocalypse, la dernière référence aux robes lavées est particulièrement intéressante, car les gens ainsi revêtus ont droit « à l’arbre de vie » (Ap 22.14), arbre dont Adam et Eve avaient été privés (Gn 3.22-24).